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Le Blog de Patrice!
20 juillet 2006

Je regardais un documentaire sur les bactéries dans la jungle humide des aisselles.

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Virginie était à la caisse cinq aujourd’hui, juste devant moi. Elle m’a un peu parlé car il n’y avait pas beaucoup de clients dans l’après midi, elle m’a confié : « Mon copain il est maçon, il bosse beaucoup plus que moi, j’ai l’impression que sa bétonnière prend plus de place que moi dans son esprit. ». Virginie a un BEP de vente et un CAP de coiffure, elle a cherché pendant six mois du travail avant d’atterrir au supermarché, « c’est l’horreur, tu fais rien de tes journées, t’envoies tes CV et tu reçois pas de réponse, peut-être une fois dans le mois, et encore, c’est pour te dire non. », elle cherchait un travail dans la vente, comme hôtesse de caisse ou comme coiffeuse. Avant d’être au chômage, elle travaillait dans un salon de coiffure à Verdun avec un garçon qui s’appelait Baptiste. Je le sais parce qu’elle m’a dit « excuse moi si je t’appelle Baptiste, j’ai toujours envie de t’appeler Baptiste, c’est parce que dans le salon où je travaillais avant il y avait un mec qui s’appelait Baptiste. » alors qu’elle ne m’a jamais appelé que Thibaut. Elle m’a dit qu’elle avait un contrat de quatre mois au supermarché mais qu’elle espérait rester plus longtemps, elle a besoin d’argent car elle a un emprunt à rembourser.

Santa me parle mal, elle me dit : « Allez bouge tes fesses Thibaut et range les paniers », j’étais un peu outré par la familiarité dont elle faisait preuve mais elle a ajouté « je vais fumer ma clope derrière tu m’appelle si tu as besoin de moi ».

Une femme m’a littéralement gueulé dessus, car la machine à écobons – une sorte d’imprimante automatique qui délivre des bons d’achats pour les clients – ne lui as pas vomi de « papillon ». L’opération papillons comme on l’appelle au supermarché, consiste en collectionner des papillons imprimés sur des écobons pour obtenir des points de fidélité supplémentaire, une fois qu’on en possède une dizaine. On parle souvent d’ opérations au supermarché, ils aiment beaucoup ce terme, un peu militaire, qui nous évoque des mouvements, une action directe et concrète sur le terrain ; l’opération c’est un peu la brigade des promotions, agressive, elle s’impose douloureusement dans le quotidien de la caissière.

Il s’agit donc de collectionner des papillons, la collection est un ressort ludique très courant au supermarché, rien qu’en ce moment, je suis supposé proposer aux gens une collection de papillons et une collection de timbres pour acheter des verres à prix réduits. Cette collection se rapproche également de la capitalisation : les timbres et les papillons ne viennent pas de nulle part, il faut les mériter, ils sont conditionnel aux achats que l’ont fait et les ajouter les uns aux autres c’est aussi ajouter les choses que l’on achète les unes aux autres. On joue bêtement à faire une collection de papillons qui représentent notre argent pour gagner des points de fidélité, autrement dit rien : si le but formel du jeu est de ne rien gagner, à quoi bon jouer ? Peut-être serait-il possible d’imaginer qu’il y a ici comme une économie de l’argent domestique, ne pas le cantonner à une utilisation unique, friable, ne pas le voir disparaître au moment de l’achat en le recréant symboliquement sous la forme de ces bons, de ces papillons, de ces points de fidélités, autant d’avatars de l’argent dépensé. (Remarque: on peut imaginer également que ces bons d'achat correspondent à une multiplication des jeux d'argent, il s'agit de faire le plus de transactions possibles - l'idée de plaisir?, ce qui entraîne la création de cette monnaie de singe.)

thumbLes clients que je vois dans la journée ont une conscience imprécise de la tromperie que constitue ces histoires de carte de fidélité, ils sentent qu’il n’y a rien de cette innocence affichée ; cette sensation les pousse à questionner la générosité du supermarché (les bons de réduction ou ces points de fidélité qui aboutissent à des bons de réduction) et à aboutir à cette conclusion : « ah mais quand même c’est de l’arnaque ces histoires, il y a toujours un truc qui ne va pas, vous ne nous faites jamais les réductions ». On peut imaginer un questionnement plus agressif : qu’est ce que c’est que cette notion de fidélité, à quoi cela sert-il au magasin ? dans une vision courante de domination du supermarché sur le client – c’est la position des associations de défense des consommateurs par exemple. On retrouve ici tout un dispositif discursif mis en place par le distributeur pour rendre cette fidélité positive, pour faire du client fidèle un client malin, intelligent, qui sait saisir les opportunités, « malin et radin ». (Remarque : on pourrait également poser la question au consommateur : pourquoi les prix sont-ils si bas, lorsque vous êtes radin et malin, d’où vient la compensation ? et ainsi tenter de lui faire prendre en compte un autre aspect, peut-être plus global de ce dispositif) On peut pourtant penser qu’un tel discours est un leurre et que cette carte de fidélité, contrat de mariage grotesque du client à son supermarché produit une liaison improbable enfonçant un peu plus le client dans son assujettissement et son contrôle. Ces ridicules bons d’achat sont finalement un prix assez faible à payer pour se doter d’outils de surveillance permettant la production d’une masse statistique exploitable pour toujours mieux adapter le dispositif de distribution au comportement apparemment irrationnel des clients, ou si celui reste décidément trop imprévisible, pour l’inscrire de force dans des systèmes, des architectures et des procédures qui le feront une variable plus rentable.

PS: désolé pour les photos, mais je kiffe trop ces costumes.

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